Forme le sonnet estrambot
I ? Définition et structure
?Le mot "estrambot" vient de l'italien "strambotto". Ce genre fut culitivé en Espagne sous le nom de "soneto con estrambote". De ce substantif dérive l'adjectif "estrambótico" qui signigie : extravagant, irrégulier et sans ordre. Comme exemple, Wikipedia cite un poème de Miguel de Cervantes (1547-1616)
→ Article en espagnol : Soneto con estrambote
? Le sonnet estrambot comprend 17 vers = deux quatrains suivis de trois tercets => 4+4+3+3+3, en d'autres mots : c'est un sonnet traditionnel augmenté d'un tercet.
II ? Exemples, remarques et notes
?Exemple 1
« Le printemps » de Louis-Xavier de Ricard
(1843-1911)
poète, écrivain et journaliste français, fondateur de la revue "Le Parnasse contemporain", à Paris, en 1861.
Voici la saison fraîche et rose
Où, se levant dans un ciel pur,
Le soleil jeune et blond arrose
Les pâleurs moites de l’azur.
L’Hiver, accroupi dans la pose
D’un vieux mendiant contre un mur,
Grelotte à l’Occident morose
Que remplit un brouillard obscur,
Mais, se déroulant comme une onde,
Une large lumière inonde
L’Orient vague et radieux.
Que les rimeurs de pastorales
Alternent en stances égales
Les gloires des fleurs et des cieux ;
Moi, je chante un hymne candide
A l’amour dont l’aurore humide
Se lève et grandit dans tes yeux.
♦ Formule : ABAB - ABAB - CCD -EED - FFD
• Les deux quatrains sont à rimes croisées.
• La disposition des rimes aux deux premiers tercets est marotique : CCD-EED
• Les troisièmes vers des trois tercets ont une seule et même rime : D
• La règle de l'alternance est respectée au passage d'une strophe à la suivante.
• Le poème est en octosyllabes.
?Exemple 2
« L'hiver » de Louis-Xavier de Ricard.
Une nuit grise emplit le morne firmament ;
Comme un troupeau de loups, errant à l’aventure
Dans la nuit, et rôdant autour de leur pâture,
Le vent funèbre hurle épouvantablement.
Le brouillard, que blanchit un tourbillonnement
Neigeux, se déchirant ainsi qu’une tenture,
On voit, parfois, au fond d’une sombre ouverture,
Le soleil rouge et froid qui luit obscurément.
Mais, tous deux, ayant clos les rideaux des fenêtres,
Mollement enlacés et mêlant nos deux êtres
Dans un fauteuil profond devant un feu bien clair ;
Nous nous aimons ; nos yeux parlent avec nos lèvres
Frémissantes ; et nous sentons dans notre chair
Courir le frisson chaud des amoureuses fièvres.
Tu peux durer longtemps encore, ô sombre hiver.
Car, réchauffés toujours au feu de leurs pensées,
Nos cœurs ne craignent point tes ténèbres glacées.
♦ Formule : ABBA - ABBA - CCD - EDE - DFF
• Les deux quatrains sont à rimes embrassées
• La disposition des rimes des deux premiers tercets est française : CCD - EDE
• Dans les tercets, la rime D occupe les rangs 3 ; 2 ; 1
• La règle de l'alternance est respectée au passage d'une strophe à la suivante à partir du second quatrain. (Pas d'alternance au passage du premier au second quatrain vu que ceux-ci sont identiques)
• Le poème est en alexandrins.
? Note 1 : De ces deux exemples, on peut dire que le sonnet estrambot est un sonnet traditionnel augmenté d'un tercet, d'où les formules suivantes :
1-Quatrains identiques à rimes embrassées, tercets de Marot :
?ABBA - ABBA - CCD - EED - FFD
2-Quatrains identiques à rimes croisées, tercets de Marot :
?ABAB - ABAB - CCD - EED - FFD
→La rime D occupe le troisième rang.
3-Quatrains identiques à rimes embrassées, tercets de Pelletier :
?ABBA - ABBA - CCD - EDE - DFF
4-Quatrains identiques à rimes croisées, tercets de Pelletier
?ABAB - ABAB - CCD - EDE - DFF
→La rime D occupe les rangs 3 puis 2 puis 1
? Note 2 : Comme on peut aussi composer des quatrains différents, on aura comme formules :
1-Quatrains différents à rimes embrassées, tercets de Marot :
?ABBA - CDDC - EEF - GGF - HHF
2-Quatrains différents à rimes croisées, tercets de Marot :
?ABAB - CDCD - EEF - GGF - HHF
→La rime F occupe le troisième rang.
3-Quatrains différents à rimes embrassées, tercets de Pelletier :
?ABBA - CDDC - EEF -GFG -FHH
4-Quatrains différents à rimes croisées, tercets de Pelletier
?ABAB - CDCD - EEF - GFG - FHH
→La rime F occupe les rangs 3 puis 2 puis 1
? Note 3 : Le poète est libre de choisir le mètre.
?Exemple 3
• « Mon enfance captive..» d'Albert SAMAIN (1858-1900)
Mon enfance captive a vécu dans des pierres,
Dans la ville où sans fin, vomissant le charbon,
L’usine en feu dévore un peuple moribond.
Et pour voir des jardins je fermais les paupières...
J’ai grandi ; j’ai rêvé d’orient, de lumières,
De rivages de fleurs où l’air tiède sent bon,
De cités aux noms d’or, et, seigneur vagabond,
De pavés florentins où traîner des rapières.
Puis je pris en dégoût le carton du décor
Et maintenant, j’entends en moi l’âme du nord
Qui chante, et chaque jour j’aime d’un coeur plus fort
Ton air de sainte femme, ô ma terre de Flandre,
Ton peuple grave et droit, ennemi de l’esclandre,
Ta douceur de misère où le coeur se sent prendre,
Tes marais, tes prés verts où rouissent les lins,
Tes bateaux, ton ciel gris où tournent les moulins,
Et cette veuve en noir avec ses orphelins...
•Formule :ABBA - ABBA - CCC - DDD - EEE
•Après deux quatrains à rimes embrassées, on a trois tercets dont les vers de chacun ont une seule et même rime.
•La règle de l'alternance est respectée au passage d'une strophe à la suivante à partir du second quatrain.
III ? Création de variantes
?Sonnet estrambot sur deux mètres :
1? Quatrains identiques à rimes croisées
♦ Formule : AbAb - AbAb - CCd - EEd - FFd
• Essai → A mes mots (par Flormed)
O mots, mon beau trésor, quittez le bas de laine !
Vous devez ailleurs trébucher.
Dès l'aube, allez cueillir aux prés du grand Verlaine
Du bon butin pour le rucher !
N'oubliez pas de faire un bref tour dans la plaine
De Marot que j'aime jucher
Sur un mont glorieux, près d'une source pleine
Où Râ vient ses rais éplucher.
Baudelaire et ses pairs, ainsi que Blanchecotte *
Et ses sœurs ont ouvert au rimeur qui picote
Leurs édens aux rameaux en fleurs.
Laissez-vous emporter par le zéphyr au souffle
Frais du matin pour dénicher ce que camoufle
Leur âme entre rires et pleurs.
Je vous ois bourdonner tel un essaim d'abeilles
Que la beauté de mars appelle à ses merveilles
Au paradis riche en couleurs.
*Augustine-Malvina Blanchecotte (1830 -1897) dont voici l'un de ces poèmes :
Encore un chant, mon cœur !
2?Quatrains identiques à rimes embrassées
♦ Formule : aBBa - aBBa - CCf - DDf - EEf
• Essai → La vie aime qui lui sourit. (par Flormed)
-« Le ciel est gris. » dit-elle,
Un vieux chagrin d'amour voilant ses yeux,
Un nœud figé pliant son front cendreux
Vers son bas de dentelle.
-« Un cœur qui trop s'attelle
A son passé, vit toujours malheureux
Il confond rossignol et sombre freux ;
Dis-je, pauvre mortelle ! »
Pas un mot ne jaillit de son gosier
Brûlant de soif. « Tu peux t'extasier
De ton heure présente.
Chasse l'obscur planant sur ton regard,
Embrumant ton esprit souvent hagard,
Loin de la bonne sente.
Vois en rose la vie ; allons, souris !
Tu verras, à tes pieds, mille houris,
La mine rougissante.
3?Quatrains différents à rimes croisées
♦ Formule : AbAb - CdCd - EEf - GGf - HHf
• Essai → A l'heure du départ (par Flormed)
Quand l'âme sent pâlir sa flamme,
Elle accourt se blottir
Dans les plis du calme qui crame
Sa plainte et son soupir.
Son ciel se vêt d'un noir funèbre.
Le jour se mue en nuit.
Sa clarté blêmit puis se zèbre
D'obscur ; elle s'enfuit.
En quête de paix dans le gouffre
Des sombres pensers, elle souffre,
Seule, une lente mort.
Le corps prévu pour sa demeure,
Par sa tribu de maux, l'écœure,
L'effraie, elle en démord
Au profit de l'humide fosse
Où compagnie elle lui fausse ;
Lui seul, la terre mord.
? Note 4: Pour de telles variantes où l'on ajoute un tercet à un sonnet hétérométrique, éviter que deux vers courts se suivent !
---------------------------------Lecture --------------------------------
• L'an dernier, j'avais composé le sonnet estrambot que voici :
Les mois infernaux
C'est déjà la saison de la chair en sueur.
Sieur thermidor attise à l'aube ses fournaises
Qu'il s'active à vider, tôt, de toutes leurs braises
Sur nous pour assouvir sa rage de brûleur.
Le vent du soir dévêt la campagne assoiffée
De ses buissons que font voler les tourbillons
Fort poussiéreux laissant à nu les gravillons
Des chemins serpentant la montagne étouffée.
Dans les logis ferreux, c'est l'enfer, on moitit
De jour comme de nuit. L'entrain se ralentit
Et somnole qui veut ; la nonchalance est reine !
Que faire quand seront bel et bien installés
Messidor et l'autre août ? On verra les galets
Se lamenter de soif au fond de la fontaine.
Les rus ne pourront plus abreuver les buis secs
Mal abritant geais et verdiers ouvrant leurs becs
Au chergui parcourant de large en long la plaine.
•Notre très cher ami Stellamaris m'avait répondu en reprenant les mots à la rime de mon poème ; voici sa belle œuvre :
Etés hivernaux
Ce jour, un ami cher, du Maroc, en sueur,
M'écrivit pour se plaindre : « Ô, brûlantes fournaises !
Comment donc endurer, sans fuir, ces cieux de braises ? »
Ami, viens parmi nous, loin de l’été brûleur !
La brume sera douce à ton âme assoiffée,
Et le vent pansera, par ses frais tourbillons,
Les rais de feu gravés par tant de gravillons
Ardents, sur chaque arpent de ta chair étouffée.
Quelle douce fraicheur, quand la brume moitit
Toute chose et que tout, en ville, ralentit
Pour en goûter le suc … Oui, l’indolence est reine,
Car le Ciel nous bénit ! Nous sommes installés
Dans un doux paradis, où même les galets
Et le sable, à la plage, évoquent la fontaine,
Tant ils sont frais aux pieds ! Ici, quand l’on dit « secs »
L’on parle de biscuits, bien savoureux aux becs,
Qui sustentent si bien les marcheurs de la plaine !
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? ♣ ?
Fiche élaborée par
Mohammed Zeïd
Flormed
Chaque Nuit ...Forme le sonnet Estrambot...Image Pinterest
Chaque nuit
Je ne distingue pas ni le ciel ni la terre
L’horizon fait de l’ombre à la face du temps
La saison nous dévoile un matin les titans
Recouvrant sous la nue un élan de mystère.
Quand le froid vient briser la chaleur du soleil
L’automne a fait germer dans les cieux le tonnerre
Le rêveur tant de fois sur la page ordinaire
A tracé quelques vers dans l’espoir d’un éveil.
Quand la mer a plongé l’univers dans mon âme
Le destin vient nourrir l’essence d’une flamme
Afin de libérer le chemin de l’ennui.
Sous la plume s’inscrit dans l’invisible grâce
Dès que le jour paraît au détour d’une place
Se pose un crépuscule en attendant minuit.
Mon amour redevient ce formidable oracle
Qui projette en mon cœur la douceur d’un miracle
Je me blottis enfin dans tes bras chaque nuit.
Maria-Dolores
Sagesse ...Forme le sonnet Estrambot ...Photo prise par Annie amie de plume
Sagesse
Pourquoi ne voit-on pas bien plus d’égalité ?
Chacun croit détenir la clé de son histoire
Laissant dans l’infini ce rien d’humanité
Puisant dans vos regards l’effet d’une victoire.
L’instant que l’on convoite en ce plaisir hautain
Faiblit en la seconde à l’impossible envie.
Maintenant, l’avenir est ce troublant destin
Qui file tous les jours au gré de votre vie.
Je vous donne à chérir un chant brûlant d’amour
Ouvrant l’instant présent d’un songe aussi glamour
Qui pose sur la main le vent d’une caresse.
L’ardeur vient éblouir l’essence de l’espoir
On veut se souvenir de ces moments d’un soir
Qui partage l’émoi dans l’esprit d’allégresse.
Je ne veux plus blesser le cœur de mon prochain
Oublier tout conflit baignant dans le crachin
Et cueillir d’un ciel bleu ce pouvoir de sagesse.
Maria-Dolores
Un plaisir émouvant...Forme le Sonnet Estrambot...Image Pinterest
Un plaisir émouvant
Quand, s’élèvent les voix dans le plus grand silence
On écoute charmer la chorale du soir
La musique est si belle on admire l’aisance
Du ténor qui nous chante au rythme de l’espoir.
J’aimerais dans le ciel observer une étoile
Qui brille de tout feu dans cette immense nuit
Chacun sent son parfum dissipé dans ce voile,
Les enfants d’une ardeur s’exaltent dès minuit.
Et sous l’ombre de Nyx le chemin de traverse
A bousculé le temps qui du sort nous déverse
Cette vue animée en la course du vent.
Je devine parfois l’écho dans ce message
Qui révèle d’un son tout ce bonheur sans âge
Séduit par le destin que prêche le levant.
Je n’oublierais jamais cet air dans cette ivresse
Parcourant dans l’émoi l’esprit d’une tendresse
Chacun a retrouvé ce plaisir émouvant.
Maria-Dolores…
Le cœur d'une femme...forme le sonnet Estrambot ...Image Pinterest
Le cœur d’une femme
J’effacerai le temps de nos tendres amours
Afin que Dieu nous donne une nouvelle chance
De trouver dans le vent l’échange sans offense
Dont je sais pour mémoire un amant de toujours.
Je verserai sans bruit l’essence du calice
Afin de le goûter en toute majesté
Son breuvage suivra ce rien de liberté
Nous vivrons ce bonheur sans un grain de malice.
Car malgré nos émois, le ciel sera clément
Face à notre destin défiant l’argument
Notre ardeur ne verra que l’effet d’une flamme,
Il germera dans l’ombre un éclat de soleil
Où le souffle n’aura que ce clinquant vermeil
Car l’automne a couvé dans le fond de ton âme.
J’exilerai pour toi le tourment des regrets
En gardant seul pour nous tous ces petits secrets
Que dévoile l'aveu dans le cœur d’une femme.
Maria-Dolores
Vivre un vrai mélodrame...Forme le sonnet Estrambot ...Image Pinterest
Vivre un vrai mélodrame
Il te faut revenir sur le chemin du cœur
Ne plus laisser les mots en terrible désordre
Dans ta vie, il est temps de ne pas tout retordre
Et verser dans la mer l’écume du bonheur.
Mon amour, j’aimerais que l’on cueille la rose
Mais l’automne a ravi l’essence d’un espoir
Dont nos corps enlacés ont gravi le boudoir.
Nous entendons le soir l’écho de cette osmose.
Sur la cime d’un mont, tu resterais perdu.
Ensemble, je respire, on aura suspendu
Sous le ciel tant d’ardeur que dévoile ton âme
Je revois le tableau dessiné de ta main
Où tu veillais mon rêve au vent du lendemain
Tu sentais la fragrance au souhait de ta flamme.
Aujourd’hui nous voici tous les deux aussi vieux
Je te suis mon aimé sur cet air envieux
Quand mes parents disaient vivre un vrai mélodrame.
Maria-Dolores
Mots imposés:
Venir, ensemble, cueillir, entendre, cime,
désordre, verser, perdu, cœur, amour